Dounia Web : Entretien avec Mr Houssam HASSANI


18 mai 2020

Présence Comorienne en partenariat avec La Radio Dounia Web, nous avons décidé de créer un espace qui soit dédié à la culture, aux écrivains et à la création d'une manière générale. Un espace qui crée de la pensée et qui donne à penser, aux antipodes de la surmédiatisation de la politique politicienne (tout le monde est devenu commentateur politique) et de la fièvre des réseaux sociaux.

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Entretien avec Mr Houssam HASSANI

Entretien avec Mr Houssam HASSANI, à l'occasion de la sortie de son dernier livre "Itinéraire d'une Nitescence"

Que pensez-vous de cette initiative?

Houssam : C'est une très bonne initiative d'œuvrer à la pensée et à la promotion de la création. La pensée et la création sont le socle fondamental de l'art. Et l'art, comme dit Paul Klee, «  est l'image de la création. C'est un symbole, tout comme le monde terrestre est le symbole du cosmos ». Alors, mettez sur pied un espace pour rendre hommage à l'art est une action salutaire. J'appelle à tous les canaux de communication à réserver une place à l'art car sans art, il n'y a pas de vie. Le monde lui-même est un art et vous connaissez l'artiste, sculpteur et créateur. C'est à son image que les hommes entendus et développés.

Vous êtes l'un des jeunes auteurs comoriens prolifiques de votre génération, avec au compteur plus de 12 ouvrages. D'où vient cette boulimie d'écriture?

Houssam : Dans son ensemble, l'écriture est la peinture de la vie. Elle est une puissance qui vient de mon paysage intérieur hiémal. Depuis que j'ai compris le sens de la vie et la mission de l'homme sur terre, l'écriture m'habite, vient s'imposer comme l'expression de Mon existence, de ma vraie liberté. Je voudrais laisser une trace de mon passage sur cette terre et me rendre utile à l'humanité comme l'a signalé Antoine de Saint-Exupéry «  celui qui a planté un arbre avant de mourir n'a pas vécu inutile  », ainsi est née ce que vous appelez «boulimie d'écriture». L'écriture vient de l'amour que je porte à l'humanité et à ma terre natale.

Que représente l'écriture pour vous?

Houssam : Elle représente un zinzolin sourire offert à l'homme. Sans paraître chattemite, l'écriture est pour moi l'expression coruscante de la vie, c'est l'unique moyen de donner une signification à ce monde. Les hommes sont des êtres animés par les plaisirs, aussi divers sont-ils. Etant humain, je dois en avoir un. Le mien est l'écriture. Et sans elle, je serai une personne nullipare, d'où elle représente tout.

Le 08 mars 2020 est sorti votre dernier ouvrage, intitulé «Itinéraire d'une nitescence». Pourquoi ce titre et de quoi parle-t-on?

Houssam : Ce titre est le résultat final d'une longue réflexion à la suite d'une série d'hésitations. Au tout début, j'avais voulu intituler le roman «Ani» qui est le personnage principal qui aurait été un éponyme comme des grands auteurs de la littérature mondiale l’ont d’ailleurs fait : Gustave Flaubert avec Madame Bovary, Racine avec Phèdre, Louis Aragon avec Aurélien, Voltaire avec Candide, Harry Potter avec Harry Potter, Tara Duncan avec Tara Duncan… mais je me suis dit que ce serait peut-être squalide vu le fait que notre communauté n'est pas trop lectrice. J'avais un panel d'autres titres mais à mesure que le roman avance, il change de tournure et ces titres-là disparaissent. Je suis arrivé à un stade où j'ai retenu comme titre «Itinéraire thaumaturge". J'ai eu un bouillonnement entre les deux adjectifs «thaumaturge et thaumaturgique». Je ne savais pas lequel garder. Finalement, j'ai opté pour «thaumaturgique» qui qualifie bien l'héroïne. L'esquisse de la première couverture porte ce titre «Itinéraire thaumaturgique d'une nitescence». Je l'ai soumis à un grand ami et connaisseur du domaine (Dr Abdou Djohar) et il m'a conseillé de supprimer l'adjectif «thaumaturge» pour plusieurs raisons… Je suis enfin arrivé avec «  Itinéraire d'une nitescence  » qui résume le roman sans le moindre matois, un titre absolument apodictique. Voilà l'arcature.

Le roman rend hommage à la femme comorienne qui, malgré les montagnes de difficultés, n'abandonne pas son objectif, ses rêves. Il présente un être de sexe féminin tout au long de sa construction: école, université, mariage, divorce et remariage. C'est un personnage à la fois capricant et extraordinaire, un personnage non lendore, un personnage à proprement parler non agelaste à découvrir. Chancie par les événements douloureux, l'héroïne progresse et réussit. Elle a un caractère oblatif, ce qui est original. Si je peux faire court, je dirai que c'est la dilection à la femme, symbolisée par la femme des îles aux multiples parfums.

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Dans vos livres, vous brocardez souvent le poids de la tradition comme dans ( Le pouvoir de la notabilité ). Vous évoquez des thèmes de controverse comme la dépravations des mœurs ( L'homme soumis, vacuité et orage ) l'injustice et la corruption ( Permis de tuer ) et autres sujets brûlés de notre société.

Considérez-vous comme un auteur engagé qui essaie de réveiller les consciences, ce que Michel FOUCAULT appelle «  le Diagnosticien du présent  » ou c'est juste le travail d'un écrivain qui donne libre cours à son imagination?

Houssam : L'engagement est le propre de l'auteur-écrivain. Dès qu’il tient sa plume et la trempe dans l’océan des mots, il s'engage dans la conscientisation, la construction, la reconstruction de la société. Cet engagement est le résultat de sa révolte intérieure, de ses murmures avec l'univers et l'infini. Mes premières publications se définissent et définissent mon engagement (Moi, débraillé contestataire et L'homme soumis).

Certains pensent que La littérature comorienne est toujours à l'état embryonnaire malgré la publication de beaucoup d'ouvrages ces dernières années et l'existence d'un certain nombre de maisons d'éditions comoriennes.

Quel regard portez-vous sur cette situation ?

Houssam : Je ne peux pas me permettre de dire ça. Ce serait une insulte à cette communauté d'auteurs et d'écrivains. La littérature comorienne est dévalorisée par les Comores et les comoriens. Comment peut-elle rester toujours embryonnaire lorsqu’elle a pris un envol international, lorsqu'elle est étudiée ailleurs, traduite en d'autres langues et adaptée au cinéma?

Je vous livre un secret. J'ai rencontré un cinéaste rwandais répondant au nom de Joel Karekezi dans Le Festival International de Carthage en Tunisie en 2018 qui souhaitait adapter mon premier roman (L'homme soumis). C'est un artiste de renom international qui comptabilise de nombreux prix. C'est pour vous signaler et signifier que seul le comorien ne met pas en valeur sa production intellectuelle, culturelle et artistique. Je multiplierais les exemples s'il faut, j'ai eu des contacts étrangers voulant des éléments de ce que j'écris parce qu'ils envisageaient de travailler sur mes ouvrages.

En France, on étudie des auteurs comoriens, au collège, au lycée, on propose aux enfants des lectures des auteurs comoriens voire de textes faisant office d'examen, le cas d'Abdou Djohar, feu Salim Hatubou…

Comment faire pour sortir de cette léthargie?

Houssam : Il faut que l'on prenne conscience de cette richesse et la valoriser. Tout le monde doit s'y engager. L'État doit se réveiller, prendre les choses au sérieux, considérer la littérature comorienne comme le deuxième Kartala, une richesse à exploiter. Dans certains États, la culture littéraire représente 16% de leur PIB. Les auteurs seuls ne peuvent pas mener ce combat car leurs moyens sont extrêmement limités. Normalement, à chaque sortie d'un ouvrage, l'auteur devrait faire une tournée littéraire, présenter le livre, l'expliquer, rencontrer le public, les lecteurs, dialoguer avec ceux-ci. C'est un travail qui dépasse ce dont il dispose. J'avais voulu me rendre au Sénégal, en Egypte, au Maroc, aux Comores, à Madagascar, au Canada, en Djibouti, en Tunisie échanger avec mes compatriotes, faute de moyens, je suis toujours là. Quel chemin emprunter? Et pourtant, il y a un ministère chargé de la culture, dans toutes nos ambassades, il y a un service ou chargé de la culture et bien évidemment un budget fictif alloué à celle-ci. Il faut aussi que la littérature comorienne soit enseignée dès le primaire, que les enfants apprennent les leur, prennent connaissance de leur trésor littéraire, s'y habituent et se familiarisent avec les auteurs qui font partie de leur patrimoine culturel. Si je peux me permettre, l'État doit construire une bibliothèque nationale où chaque auteur déposera un exemplaire de son ouvrage dès qu'il est publié, comme ça, les citoyens auront accès à tous les auteurs. Il serait très indispensable d'organiser des échanges nationaux entre les auteurs: journée nationale de l'auteur comorien, journée du livre comorien…Il doit être primordial d’envisager des rencontres avec les auteurs de la région et avant de l’étendre vers les autres contrées du monde.

Quel (s) conseil (s) donneriez-vous aux jeunes lecteurs qui rêvent de devenir écrivains comme vous?

Houssam : Si je peux me permettre, je dois rectifier quelque chose. On est tous des écrivains mais on n'est pas tous des auteurs. On est né écrivain et on devient au fil du temps et par le travail d'écriture, auteur. On a en quelque sorte, d'une façon métaphorique, une aphantasie. Il faut y travailler pour faire remonter en surface le talent d'auteur que nous avons tous. La définition fondamentale même d '«écrivain» est celui qui écrit. Nous écrivons tous. On doit alors dépasser ce stade d'écrivain pour façonner nos écrits et publier pour monter en grade: le grade d'auteur qui est plus important. Donc, pour ces gens animés par cet art, ils doivent intégrer un autre art: la lecture. Car on ne peut pas être un bon auteur si on ne lit pas. Et tout le monde vise l'excellence, le sommet de la montagne.

Je leur dis d'être des «rongeurs» de livres, des «rats» de bibliothèque puis se marier avec la lecture, l'écriture et leurs émotions. Ils doivent être trop attentifs à tout ce qui se passe autour d'eux, à ce qu'ils vivent, voient, ressentent, à ce que les autres leur offrent (sentiments…) et ne pas avoir honte à faire de fautes. Les fautes sont le moteur de la perfection. Enfin, ils doivent savoir et interpréter tout ce que la nature leur donne car chaque élément de cet univers peut constituer un livre, un chapitre, une partie de leurs ouvrages. Le regard, le sourire, le rire, les pleurs, les larmes, le cri du corbeau, le vol d'oiseau, la corde de la chèvre, le bougement des feuilles de cocotier, la disposition des livres saints, des nattes à la mosquée , le chant de l'eau lors des ablutions, les couleurs, les fleurs, les mouches, les abeilles, la vitesse des vagues, le déplacement des poissons dans l'eau, les enfants jouant avec les vêtements de leurs mères, les mères et pères allant et revenant du champ, les brouettes au marché, la rupture du jeûne, les odeurs des mets venant des différentes cuisines, les plis d'une jupe… tous sont des livres, donnent matière à nourrir un ouvrage. En vérité, ils ont toute la matière indispensable pour leur entreprise, il suffit de transformer cette matière primaire en produit fini.

Si vous devriez conseiller nos lecteurs un livre d'auteur comorien à lire prochainement, un livre qui vous a le plus marqué. Ce sera quel livre?

Houssam : Ils sont si nombreux à solliciter aux lecteurs. C'est une question assez difficile d'y répondre. Mais je proposerais: " Et la graine " première fiction, si ma mémoire est fidèle, d'Aboubacar Saïd Salim qui va avec le contexte actuel de notre pays. C'est un livre qui a forgé mes convictions, mon engagement et mon patriotisme, un livre multidimensionnel oscillant entre littérature, sociologie, psychologie et histoire.

Rédaction : Présence comorienne / Radio DOUNIA WEB

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